Indicateur de qibla par le célèbre facteur d’instruments ‘Abd al-‘Alî d’Isfahan, daté 1703-04
Laiton et laiton argenté, à décor gravé. Anneau en argent rehaussé d’une turquoise (l’aiguille de la boussole et le verre de protection sont manquants)
Iran, Isfahan, art safavide, daté 1115 H./1703-04
Diam. : 5,9 cm. Haut. : 1,7 cm
Cet objet est signé par ‘Abd al-‘Alî, l’un des plus célèbres facteurs d’instruments scientifiques d’Isfahan à la fin de l’époque safavide. Il est connu par au moins sept astrolabes, dont l’un d’eux – le seul à avoir été publié – était dédié à Shâh Husayn II en 1124 H./1712. Cet astrolabe est un chef-d’œuvre en matière de technicité et de connaissances artistiques. ‘Abd al-‘Alî signe toujours ses œuvres par la formule aquall al-talaba, « Le moindre des disciples », indiquant probablement son sentiment de dette envers les (deux) précédentes générations de facteurs d’instruments d’Isfahan. Leurs instruments sont souvent gravés dans un mélange d’arabe et de persan, souvent avec un goût chî’ite particulier, et ils mélangent également des inscriptions en écriture naskhî et thuluth. Tous les nombres sont donnés en écriture alphanumérique arabe standard (abjad).
La signature du facteur est au centre de l’intérieur du couvercle, en arabe : « fabriqué par le moindre des disciples ‘Abd al’Alî al-Isfahânî en l’an ?? ». A première vue la date semble lire 1150 H., mais le point final du zéro peut ne pas appartenir à la date. Cela voudrait dire que l’on doit lire 115 et que la date est [1]115, soit 1703-04, ce qui correspond mieux aux années [1]119, 1124, 1126 des trois astrolabes de sa fabrication qui sont datés.
L’inscription persane dans les cartouches autour de la boîte est inhabituelle dans le sens où elle semble adresser des respects à un utilisateur anonyme : « Ô le compatissant (yâ hannân), Ô le généreux, (al-mannân, également un nom de Dieu !?), Ô votre honneur (janâb), celui au visage pur, si vous voulez trouver précisément la qibla à partir de votre propre localité, alors [l’instrument doit être tourné afin que] l’oiseau [de la boussole] indique le sud [sur l’échelle horizontale] et la [valeur] gravée [sur la partie approprié de la boîte] vous montrera la qibla pour votre localité ».
La boussole qui était à l’origine enchâssée dans la boîte devait être de la forme d’un oiseau bleu tourné vers le sud. Sur l’anneau, avec un cadre intérieur quadrifolié qui devait être fixé sur le verre d’origine (pour protéger la boussole), sont indiqués les directions de qibla d’environ quarante localités, principalement dans le Grand Iran. La qibla est appelée inhirâf, qui signifie littéralement « déviation », et elle est mesurée du nord ou du sud à partir du méridien ; le cadrant qui y est associé est appelé jiha, la « direction », qui est abrégé dans une forme standard, j-gh pour janûbî-gharbî, « sud-ouest », et sh-q pour shamâlî-sharqî, « nord-est ».
Sur le dessus et la base de la boîte, la qibla de 69 localités est donnée au degré près. La plupart des mesures sont dans le cadran sud-ouest et quelques valeurs additionnelles sont données dans des cartouches sur les côtés. Quelques exemples sont Baghdâd 13° S.O., Alamut 29° S.O., et Shiraz 53° S.O.
A l’intérieur du couvercle se trouvent les noms de six autres lieux de pèlerinage (bilâd-i ziyârât) : Médine, Baghdad, Samarra, Koufa et Meshed, avec leur direction à partir d’Isfahan, telle que l’on les trouve sur une minorité d’autres indicateurs de qibla.
A l’intérieur de la base sont gravés des triades de nombres classés de (1, 11, 21) à (10, 20, 30), en notation hindou-arabe. Bien qu’ils soient systématiquement disposés selon les directions cardinales, ils n’ont rien à voir avec la détermination des qibla, et leur présence ici est un mystère. Le ou les mots situés au centre sont malheureusement illisibles.
L’alidade provient d’un (très petit) astrolabe iranien et n’a pas sa place dans cet instrument.
L’intérêt pour la qibla (c’est-à-dire la direction de la Mecque) était particulièrement important dans l’Iran timouride et safavide. Une table géographique monumentale fut compilée au milieu du XVème siècle à Kish, à coté de Samarcande : elle contenait les longitudes et les latitudes de 274 localités de Al-Andalus (l’Espagne) à la Chine, ainsi que la qibla et la distance à la Mecque pour chacune de ces localités, à la minute près. Des extraits de cette table ainsi que des versions simplifiées des données apparurent dans des répertoires géographiques sur les astrolabes et les indicateurs de qibla, c’est-à-dire les boussoles de poche inscrites avec les qiblas des principales villes du Grand Iran. Des centaines d’indicateurs de qibla safavides et qâjâr ont survécu mais la plus part d’entre eux sont anonymes.
Je remercie Prof. David King pour avoir décrit cet instrument, et Manijeh Bayani pour la traduction de l’inscription persane.